NOYAUX DURS SUR DISQUES DURS ( partie 4 )

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ététée puis amputée


 La maternelle vit ses dernières années.


La grande section est déjà  rattachée au primaire par le biais du cycle des apprentissages fondamentaux  (CP et CE1.)

Les enfants de deux ans ne sont déjà plus comptabilisés... D'année en année le pourcentage de scolarisation de cette tranche d'âge a régulièrement diminué. 
 
Etêtée au niveau de la Grande Section, amputée par la Petite Section, la maternelle, peau de chagrin, ne se retrouvera potentiellement qu'avec des Moyens. L'école obligatoire pour les 5 ans scellera définitivement les « grands » à l'école primaire.
Pour ce qui est des plus petits, après ne plus être comptabilisés, ceux qui restent, ne trouvent aux yeux du ministre Darcos, aucune légitimité à prétendre à ce qu'on appelle une « Ecole ». Les enseignants sont aussi disqualifiés. Appuyons encore où ça fait mal :
 
Darcos avait déjà bien commencé en 2007. Alors auditionné par l'Assemblée Nationale sur l'exécution du budget, il avait bien résumé sa vision de ministre sur la question...: « comme père, je ne crois pas à l'efficacité de la scolarisation à deux ans ». Voilà donc un ministre ne faisant appel qu'à ses sentiments de père pour juger de l'avenir socio-économique de la France... Intéressant.

Et puis, plus récemment...

« Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l'Etat, que nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? »  En cherchant bien, on peut trouver la source des propos ministériels.




                                                                                                   manif du 20 novembre à Toulouse



LES NEGRES DE DARCOS

Il s'est appuyé sur  l'argumentaire d'un ancien instituteur aujourd'hui Inspecteur de l'Education Nationale qui, sous le pseudonyme de Julien Dazay, a publié ce printemps un livre au titre pour le moins volontairement provocateur :" Faut-il fermer les écoles maternelles? " L'auteur dresse dans ce livre, un constat accablant : les «écoles maternelles ne ressemblent qu'à une simple garderie qui confond éducation et enseignement [...]". "L'école maternelle entretient voire produit l'échec"  [...] Les parents considèrent l'école maternelle comme une sorte de garderie à la carte, [...] les pauses pipi, les pauses siestes, les pauses récrés, qu'on impose à tous les enfants en même temps prennent un temps fou ! (Darcos est quand même l'auteur de quelque chose : les couches culottes.) « Or, l'école est faite pour enseigner. Les enseignants n'ont pas à encadrer ce genre d'activités, un simple animateur peut le faire. » 

Enfin, le fossoyeur inspirateur de Darcos, plaide pour « la mise en place de jardins d'enfants confiés à de simples personnels d'encadrement » [...]. En contrepartie [...], il propose que « la scolarisation devienne obligatoire dès 5 ans».  Nous y voilà... La boucle est bouclée.

 Extrait d'une interview sur LCI de Julien Dazay:


LCI : Vous décrivez de façon hilarante et stupéfiante une journée type en maternelle. Entre les pauses pipi à répétition, les séances d'habillages-deshabillages multiples pour les récrées, le repas, la sieste, etc... L'enfant reçoit, au final, au mieux une heure d'enseignement sur six heures passées à l'école ! Ca se passe toujours comme cela ?
Julien Dazay:
Bien évidemment que non. Mais cette journée là, je l'ai vécu. Et je l'ai vécu plusieurs fois même. A partir du moment où on paie des gens qui ont bac+5 pour une heure d'enseignement, je me pose la question de savoir si la maternelle est utile.

LCI : Comment faire pour que l'école maternelle rayonne de nouveau ?
Julien Dazay:
Il y a deux solutions. Soit l'Etat garde la maternelle dans son giron, continue à la financer et fait en sorte qu'il y ait des contenus clairs, soit l'Etat doit se désengager. Les communes ont depuis très longtemps inventé tout un tas de dispositifs de garderies pour accueillir les enfants dès deux ans. En plus, cela coûtera beaucoup moins cher à l'Etat.

Si l'Etat garde les maternelles, il faut qu'il commence par mettre un terme à l'ambiguïté autour de la grande section. Il faut dire clairement qu'elle est rattachée à l'école élémentaire (cycle 2), que c'est une classe préparatoire au CP. Cela implique aussi qu'il faut rendre l'école obligatoire à cinq ans et non plus à six car c'est là que commencent les apprentissages fondamentaux. 

Bouclée la boucle je vous dis.



Et ça vient donc de sortir...


Un rapport de deux sénateurs UMP préconise des « jardins d'éveil » payants pour les moins de trois ans en lieu et place de l'école.

« L'école n'a pas vocation à accueillir les enfants de 2 ans. C'est une école à part entière ». En quelques mots, le rapport de la commission sénatoriale sur l'accueil des enfants de 2 à 3 ans des parlementaires UMP, Monique Papon et Pierre Martin donne le ton : la maternelle, c'est pour transmettre, pas pour grandir, se développer et apprendre. Pour les rapporteurs, il faut fermer les classes maternelles au moins de 3 ans et « imaginer » une nouvelle forme d'accueil, « le jardin d'éveil » qui serait situé dans les écoles avec des personnels non enseignants.

Encore : le 3 juillet 2008 devant les sénateurs, le ministre Darcos  affirmait « que l'organisation de l'école préélémentaire [...] était difficile compte tenu de son caractère passionnel. ». (Retenons bien ce mot de « préélémentaire », il servira à faire une distinction entre l'école « préélémentaire » et l'école maternelle devenant synonyme de « jardin d'enfants » à l'allemande)

Côté argument, les rapporteurs s'appuient sur d'autres rapports, ceux de Tabarot ou de Bentolila en 2007 mais sont incapables de se référer à la moindre évaluation, à la moindre recherche. Et pour cause, le message délivré est "darcosien" : 4 ans d'école maternelle, c'est trop. « Les enfants sont usés. » Mais là aussi Darcos a pompé : c'est le linguiste Alain Bentolila qui l'a dit : « quatre ans d'école maternelle, c'est trop. L'enfant est usé quand il arrive à l'élémentaire».

Bentolila est linguiste et il connaît le poids de chaque mot. Il est d'autant plus affligeant après ce qu'il disait hier de le lire aujourd'hui:

Petit extrait :

" A trop vouloir faire de l'école maternelle une école " autre" on risque de contribuer -par endroit -à faire " autre chose" qu'une école."

Ou encore :

" L'école maternelle est une école à part entière, non une école entièrement à part."

Pauline Kergomard (1838-1925, fondatrice et inspectrice des écoles maternelles) doit se retourner dans sa tombe ! Elle est à l'origine de la transformation des salles d'asile, établissements à vocation essentiellement sociale, en écoles maternelles... là aussi la boucle semble être en voie d'être bouclée...

Et tout cela pour en arriver à cette absurdité majeure :

" Le bien vivre a parfois pris le pas sur le bien apprendre."

" Les temps de collation, déplacement, habillage, passage aux toilettes, attente des parents, doivent s'équilibrer et se répartir dans les temps de récréation car ce ne sont pas des apprentissages scolaires." (Vous avez dit Darcos / Dazay...?)

Comme s'il était incompatible de bien vivre et de bien apprendre alors que le mot école lui-même renvoyant au loisir (1) est le lieu où l'on apprend et où pour bien apprendre il est nécessaire de bien vivre (première préoccupation, justement, de Pauline Kergomard), le lieu où l'on vit sachant que vivre c'est apprendre et qu'apprendre est la meilleure façon de vivre, qu'apprendre évite de mourir... d'ennui.


De son côté, Nadine Morano, la secrétaire d'État à la famille a saisi l'occasion. Elle a indiqué qu'elle souhaitait transformer certaines salles de maternelles en « jardins d'éveil » payants pour les familles. La Mayenne et le Rhône seraient les premiers départements expérimentaux à la rentrée prochaine, les collectivités seraient mises à contribution.

Le plan est en préparation depuis plusieurs mois à Bercy et sera bientôt mis en œuvre. En effet, la Caisse d'allocations familiales de Montpellier vient d'annoncer aux crèches et aux PMI qu'elles devraient s'apprêter à accueillir (ou plutôt garder en leur sein) les enfants de 2/3 ans à la rentrée 2009 puis, à terme, les enfants de 3/4 ans.

Aujourd'hui, l'école maternelle est un vrai lieu d'apprentissage. Le vrai contraire d'une garderie. Toute argumentation qui remet en cause la nature même de ce lieu qui croise l'expérimentation de la vie citoyenne et de vrais contenus multidisciplinaires, ne se cache que derrière une approche comptable de la chose.

Et ceci pour la vraie privatisation de ce qui s'appelle tout simplement une école pour TOUS.





Demain, nous nous dirigeons malheureusement vers un système anglo-saxon qui scolarise les enfants à partir de 5 ans. Avant 5 ans, les parents qui  ont des moyens financiers suffisant, mettent leur enfant dans des "nursery school".


Mais l'école élémentaire doit faire face à d'autres idéologies. Le 24 octobre, Xavier Darcos a remis à Marc Le Bris, enseignant en Ille-et-Vilaine, l'Ordre national du mérite. Cette cérémonie marque l'ancrage du ministre dans le clan des anti-pédagogistes. Soutien de la campagne de Gilles de Robien pour la méthode syllabique, consulté par Xavier Darcos pour l'élaboration des nouveaux programmes, Marc Le Bris ne s'est pourtant fait remarquer que par ses outrances et ses attaques contre la méthode globale et « le dénigrement actuel de la culture » dont les effets pourraient conduire tout droit « aux camps de la mort »...

Il est l'auteur de « Et vos enfants ne sauront pas lire... ni compter »

Plus récemment, Marc Le Bris, bien introduit auprès du ministre Xavier Darcos et très présent dans les réunions ou colloques UMP sur l'école, a fait partie des personnalités consultées lors de l'élaboration, au début de l'année 2008, des nouveaux programmes de l'école primaire.


Les futurs professeurs, aujourd'hui dans des IUFM, eux aussi en fin de vie, vont vers des jours sombres.


                                                            IUFM en grève : manif du 20 novembre à Toulouse


(1)Le mot école vient du latin schola, signifiant loisir consacré à l'étude, lui-même provenant du grec scholè (le loisir opposé à la sphère des tâches productives).


 Après demain sur ce blog la partie 5  « la messe est-elle déjà dite ? »

Publié dans Education

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