Compensé carbone...

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Dans le dernier numéro d'Alters Echos Régis Chamagne écrivait un "contresens" sur "compensé carbone".
Je complétais son analyse par une histoire de... "compensé carbone".

Ci-dessous les deux textes.
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Compensé carbone

 

Depuis que je sais que je suis compensé carbone, je me trouve très chic !

Non, sérieusement, les écotartuffes et médias consentants, héros des temps modernes – le regard grave mais satisfait et la main sur le cœur - n’ont que cette expression à la bouche. Mais que signifie-t-elle exactement ?

 

D’après le vocable, on pourrait penser qu’il s’agit de compenser le carbone émis par une forme d’action écologique faisant contrepoids à cette pollution et visant à préserver l’équilibre de notre écosystème. On pourrait penser que puisque nous parlons d’écologie – et accessoirement de la survie de l’espèce humaine – le mécanisme « pollution / compensation » se situe entièrement dans le champ de la biologie...

 

Oui mais voilà ! « Chaque être persévère dans son être » écrivait Spinoza. Alors quand les capitalistes s’emparent d’un problème, ils font ce qu’ils savent faire, ils persévèrent dans leur être ; ils le ramènent à une question d’argent. Ils opèrent une projection d’un objet complexe à n dimensions sur un espace à une dimension : le fric ; ils observent le problème à travers le seul prisme qu’ils connaissent, celui du pognon.

 

Ainsi, « la compensation volontaire est un mécanisme de financement par lequel une entité (administration, entreprise, particulier) substitue, de manière partielle ou totale, une réduction à la source de ses propres émissions de gaz à effet de serre une quantité équivalente de « crédits carbone », en les achetant auprès d’un tiers.»

 

La compensation carbone est donc fondamentalement un mécanisme de financement.

Une entité « substitue […] une réduction », c’est-à-dire ne réduit pas, c’est-à-dire continue à polluer, mais paye pour cela !

« en les achetant auprès d’un tiers » devinez qui ? D’un tiers… monde peut-être...

Au bout du compte, les pays riches tentent de se donner bonne conscience à la façon du bourgeois esclavagiste du XIXe siècle qui jetait la pièce au pauvre hère à la sortie de la messe dominicale.

 

Le problème, c’est que le pauvre hère a rarement mis le bourgeois esclavagiste cul par-dessus tête, mais que la nature, elle, peut très bien mettre l’espèce humaine hors jeu, car personne ne connaît le prix de notre écosystème. Alors, quand les fragiles équilibres qui maintiennent encore notre écosystème s’effondreront brutalement sous l’effet systémique d’une transition brutale de phase, que feront les capitalistes ? Ils feront tourner les planches à billets à fond la caisse peut-être ? Quel pied !

« S’il te plaît, arrête ! Déconne pas Madame Nature ! Tu veux des dollars ? Combien ? On en a ! Des euros ? On en a aussi ! Des yuans ?... »

 

Vous l’aurez compris, pour coller à la réalité de ce mécanisme, il ne faut plus dire « compensé carbone » mais « carbone compensé pognon » !

 

Dans un prochain numéro, nous essaierons de répondre à cette existentielle question : « Combien tu m’aimes, en tonne-équivalent-dollar ? »

 

                                                                                Régis Chamagne


 

Compensé carbone : une histoire…


Au Pays-Bas, une centrale thermique de la Dutch Electricity Generating Board aux émissions très polluantes…

En Ouganda des agriculteurs de la tribu des Benet qui exploitent depuis près de 200 ans leurs terres, élèvent leurs animaux dans le parc national du Mont Elgon, et reconnus par le Haut tribunal ougandais de Mbale comme « les habitants autochtones historiques »…

Aux Pays-Bas on décida de compenser les émissions polluantes par des crédits carbone… (Depuis Kyoto, on plante là-bas pour polluer ici.)

L’Ouganda, et donc le parc, furent choisis par la Face Fondation, une organisation néerlandaise impliquée dans le marché du carbone, pour un plan de reboisement. Deux types de compensations : le reboisement des zones précédemment boisées et le boisement de zones où des forêts n’existent plus depuis 50 ans.

1000 Benet furent alors expulsés de leurs terres pour permettre la plantation des arbres “compensateurs” et satisfaire le besoin de crédits carbone de la centrale thermique des Pays-Bas et sa belle et bonne conscience verte. Maisons et cultures détruites, bétail confisqué, et agriculteurs trouvant refuge dans des conditions déplorables où ils purent …

Mejje Christopher, ancien chef de commune est maintenant squatter à Kisitu, loin de ses terres : « Nous avons été réduits à la mendicité auprès des parents et à la migration vers des zones urbaines où la vie est dangereuse. Nous vivions dans la montagne depuis plus de 200 ans. Nous transférer signifie nous enterrer, complètement. Nous voulons rester dans notre zone et nous développer ».

Pour couronner le tout, les arbres choisis ne poussent pas traditionnellement dans cette région.

 

Enfin, Aucun crédit de carbone n’a été vendu à partir du projet du Mont Elgon, parce que les gens détruisent les arbres avant leur maturité en signe de protestation suite à leur expulsion.

Vive le compensé carbone qui nous exonère de toute remise en cause de notre système de vie !

Publié dans Ecologie- Economie

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P
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Je me permets de porter à votre connaissance la publication de mon dernier article sur la compensation des gaz à effet de serre générés par nos voyages<br /> http://blog.voyages-eco-responsables.org/?p=946<br /> <br /> Il est publié sur le blog de l’association V.V.E. (Voyageurs et Voyagistes Ecoresponsables), et a été repris par le site du Ministère du Tourisme.<br /> <br /> Cet article, et le précédent, expliquent le mécanisme, l'organisation du marché de la compensation volontaire, et surtout ces pièges ; en particulier celui de la non validité en la (re)forestation<br /> comme outil de compensation. Le premier évoque les modes de calcul.<br /> <br /> Mon blog rassemble d'autres articles de diverses origines qui vont dans le même sens.<br /> http://pascal-planeteclimat.blogspot.com<br /> <br /> Sous l’angle de la compensation carbone, il pose aussi les questions de la durabilité des modèles du tourisme d’aujourd’hui :<br /> <br /> Comment concilier maintient du trafic aérien et développement soutenable<br /> <br /> Comment réduire la quadrature du cercle, celle d'un nombre croissant de voyageurs en avion, d'un stock fini de pétrole, et d'une technologie encore inexistante, même embryonnaire, pour faire voler<br /> des avions avec autre chose que du kérosène.<br /> <br /> Et globalement il met en relief la nécessité de changer d'approche nos modes de vie...<br /> <br /> Vos commentaires sont les bienvenus.<br /> <br /> Cordialement,<br /> Pascal Lluch<br /> <br /> <br />
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